«Khaybar, Khaybar, ya yahud, Jaish Muhammad, sa yahud» chantent en chœur les musulmans réfractaires à l’installation des portiques de sécurité israéliens filtrant l’accès à la mosquée Al Aqsa.
Littéralement, «souviens-toi de Khaybar, ô Juif, l’armée de Mahomet est de retour». Khaybar fait référence à une bataille du 7ème siècle ayant conduit à un massacre des Israélites.
Ils sont ainsi des milliers à refuser d’accéder au Mont du Temple, également appelé «Haram al Sharif» ( le Noble Sanctuaire ), une esplanade au cœur du vieux Jérusalem qui abrite plusieurs mosquées, dont Al Aqsa, le Dôme du Rocher, et qui surplombe les restes du Temple d’Hérode, connu sous le nom de «mur des lamentations».
Incités par leurs imams et par l’Autorité Palestinienne à refuser tout contrôle d’accès, les fidèles préfèrent conduire leurs prières dans les rues, face à aux forces antiémeutes israéliennes.
La raison officielle? «L’humiliation» que leur fait subir les nouvelles mesures de sécurité prises par Israël, comme suite à l’assassinat de deux policiers Druzes par des terroristes arabes-israéliens ce 14 juillet.
Une enquête, conduite immédiatement après l’attentat dans les mosquées de l’esplanade, avait révélé la présence de caches d’armes et la complicité de certains membres du Waqf, l’organisation jordanienne en charge des lieux de prière musulmans.
En réalité, ce n’est pas la première fois qu’une action israélienne ou juive visant à sécuriser ce secteur hautement conflictuel, à faire respecter un droit d’accès égal à toutes les religions, ou, tout simplement, à exprimer les droits historiques des deux premiers monothéismes, sert de prétexte à un embrasement souvent incontrôlable.
L’intifada Al Aqsa et son cortège d’attentats terroristes et de représailles israéliennes en sont l’exemple le plus présent.
C’était à la fin de l’été 2000, alors que le monde entier avait le regard tourné vers Camp David, dans l’espoir que le premier ministre israélien d’alors, Ehud Barak, parviendrait à un accord de paix avec Yasser Arafat, sous la houlette de Bill Clinton.
Malheureusement le leader du Fatah et de l’OLP n’était pas prêt à accepter les concessions qu’Israël lui offrait, c’est-à-dire la reconnaissance d’un état palestinien sur 94% de la Cisjordanie et de Gaza et le partage de Jérusalem. Ce qu’il voulait, c’était Jérusalem tout entière et l’invasion de l’état Juif par des millions de descendants de réfugiés.
Deux conditions impossibles à appliquer puisqu’elles provoqueraient la disparition de l’État hébreu.
La stratégie habituelle d’Arafat étant d’avoir recours à la violence, dans l’espoir d’embraser la région, il n’avait plus qu’à attendre l’incident qui ferait étincelle. La visite d’Ariel Sharon sur le Mont du Temple, encadré par des forces de sécurité, lui permit d’annoncer au monde musulman que les Juifs voulaient s’emparer de la mosquée Al Aqsa, et de lancer son intifada, entraînant cinq années de carnage que seule la construction d’une barrière de sécurité de plusieurs centaines de kilomètres entre Israël et les Territoires Palestiniens allait pouvoir enrayer.
Arafat avait appris cette tactique du premier leader nationaliste Arabo-Palestinien. Le grand Mufti de Jérusalem, Hadj Amine Al Husseini, inquiet de la montée du sionisme sous le mandat anglais, s’était servi du même prétexte en 1929 pour provoquer des émeutes à l’issue desquelles la quasi-totalité de la communauté juive de Hébron avait été massacrée.
Les sionistes, affirma-t-il, étaient en train de détruire Al Aqsa pour reconstruire leur Temple. À l’époque, même les Arabes de Palestine ne niaient pas l’existence antérieure de l’édifice d’Hérode et de Salomon.
Il a été démontré dans les faits que, chaque fois qu’un leader palestinien se retrouve en situation précaire ou conflictuelle, son premier recours est de mettre en avant la sauvegarde du troisième lieu saint de l’Islam.
Ce fut le cas du leader du mouvement islamiste du nord d’Israël, le Sheikh Raed Salah, qui en 1996 et 1997 lança l’opération «Al Aqsa en danger», depuis la ville d’Umm al-Fahm.
Les Palestiniens avaient alors pour projet de détruire les étables de Salomon, afin d’y creuser une mosquée gigantesque, au mépris de toutes les règles archéologiques, et surtout de la sainteté du lieu pour le judaïsme. Inquiet de devoir faire face à de nouvelles émeutes qui altéreraient le processus de paix, le gouvernement israélien avait été obligé de céder.
La situation actuelle est quelque peu différente sur la forme mais pas dans le fond.
Depuis l’élection de Donald Trump, l’Autorité Palestinienne, habituée à plus de complaisance à son égard, se retrouve confrontée à un rééquilibre de la position américaine en faveur d’Israël. La première exigence du nouveau président est que Mahmud Abbas cesse de détourner les fonds humanitaires au profit des salaires de terroristes emprisonnés. Le congrès US, de son côté, s’apprête à voter la loi Taylor Force ( du nom d’un jeune touriste américain assassiné à Tel Aviv en 2016 ) qui vise à bloquer les fonds destinés à l’Autorité Palestinienne, tant que Mahmud Abbas ne mettra pas fin à cette pratique inouïe et insensée.
Abbas, qui se trouve dans une situation des plus délicates, tant il est contesté par ses extrêmes et talonné par le Hamas, a récemment refusé de transférer les fonds nécessaires à l’alimentation de Gaza en électricité.
Son geste, destiné à affaiblir le Hamas, a eu comme seule conséquence d’accentuer les souffrances des habitants de Gaza, qui n’ont désormais accès qu’à deux heures d’électricité par jour.
Une initiative qui est loin d’augmenter sa popularité.
Supprimer les salaires des terroristes et de leurs familles ne ferait donc qu’altérer davantage sa légitimité.
Mais voici que plusieurs terroristes parviennent à faire passer des armes jusqu’à la mosquée Al Aqsa, et s’en servir pour abattre dans le dos deux policiers Druzes.
La réaction d’Israël ne s’est pas fait attendre, mais l’installation des portiques de sécurité visant à protéger l’accès aux lieux Saints, comme partout ailleurs dans le monde, a aussitôt été décrite comme une provocation, conduisant à de nouvelles condamnations d’Israël par l’ensemble du monde musulman.
Depuis, plusieurs incidents ont tourné au tragique.
Vendredi 21 juillet, un Palestinien de 20 ans, Omar al-Abed, est parvenu à s’infiltrer dans une maison de la communauté d’Halamish, à proximité de Ramallah, et à assassiner à coups de couteau trois membres de la famille Salomon qui célébrait le shabbat et la naissance de leur petit dernier.
La rue palestinienne s’est aussitôt embrasée pour fêter l’événement, chantant et distribuant des sucreries, tandis que le Hamas glorifiait l’acte «héroïque» d’Omar al-Abed.
De leur côté, la police et l’armée israélienne, contraintes de barrer les violences de milliers de manifestants, armés de lance-pierres, de bombes artisanales et de cocktails Molotov, ont fait plusieurs victimes.
Mais, plutôt que d’exhorter sa population au calme et de condamner l’attentat terroriste d’Halamish, Mahmud Abbas a continué d’inciter à la révolte, tandis que son parti, le Fatah, et plusieurs membres arabes de la Knesset menaçaient d’une nouvelle intifada, si les portiques de sécurité n’étaient pas retirés.
Le mot d’ordre du président de l’Autorité Palestinienne: les portiques seraient le signe qu’Israël veut mettre fin au statu quo et s’emparer du Mont du Temple et de la mosquée Al Aqsa.
Chanson connue.
La conclusion à laquelle tout observateur neutre pourrait se livrer est que ces portiques, acceptés partout dans le monde, posent un problème plutôt curieux aux fidèles.
Alors que Jason Greenblat est envoyé d’urgence au Moyen Orient pour tenter de calmer la situation, l’acte d’auto défense d’un garde de l’Ambassade israélienne à Amman a entraîné la mort de deux assaillants jordaniens, provoquant une crise diplomatique sans précédent depuis la tentative d’élimination du terroriste Khaled Maashal par le Mossad en 1997.
De son côté, Mahmud Abbas a annoncé qu’il rompait toute coopération sécuritaire avec Israël, à moins que le gouvernement ne renonce aux dernières mesures prises. Autrement dit, un retour à la «normale», qui permettrait à n’importe quel djihadiste d’infiltrer des armes dans les mosquées.
La liste des violences, hélas, ne fait que s’allonger, avec un nouvel attentat à Petah Tikva qui, par chance, n’a fait qu’un blessé.
L’incident de l’ambassade d’Israël à Amman, bien davantage que les menaces de l’Autorité Palestinienne, a cependant conduit Israël à modifier encore une fois les mesures sécuritaires à l’entrée du Mont du Temple. Les portiques seront donc remplacés par de nouvelles technologies, bien plus coûteuses, parmi lesquelles des caméras à reconnaissance faciale. Une façon de satisfaire la rue palestinienne en donnant l’impression de céder à sa pression, tout en ne fléchissant sur une question aussi fondamentale que la sécurité des visiteurs et des forces de police.
Il semblerait bien, sinon, qu’une nouvelle intifada ait été en train de prendre naissance dans la chaleur torride de l’été moyen oriental.
La quatrième après celle des «couteaux».
Comment l’eut-on appelée, cette fois? L’intifada des portiques?
Attendons le prochain mouvement tactique de Mahmud Abbas pour lui donner un nom.
Article original sur le Figaro :
http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2017/07/25/31001-20170725ARTFIG00216-les-emeutes-de-jerusalem-sont-elles-le-debut-d-une-nouvelle-intifada.php